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Madame du Coudray, une sage-femme instruite

Dès 1778 à Andrezé

Un après-midi de 2023, à la fin de son émission « Historiquement vôtre » sur Europe 1 , Stéphane Bern annonce : « Demain, nous parlerons de trois femmes célèbres« , et parmi ces noms… Madame du Coudray… Sursaut ! Nous avions lu en effet, dans les archives d’Andrezé, qu’en 1778 déjà, il y avait à Andrezé une sage-femme instruite qui avait suivi les cours de Madame du Coudray, et que grâce à elle les accidents en couches étaient rares dans notre commune.

Mais qui est donc cette Madame du Coudray ?

Certes, pas une de ces accoucheuses qui se mettent à fuir ou à prier dès que les choses se passent mal. Non, une vraie sage-femme qui connaît bien l’anatomie féminine, et les différents gestes à pratiquer lorsque l’enfant se présente mal. Grâce à l’écriture d’un manuel et à la mise en place d’une « machine », elle est la mère d’une méthode pédagogique innovante qui permit, au XVIIIe siècle, de considérablement diminuer le nombre de mort(e)s en couches. Écoutée, critiquée, protégée, toujours sûre de son talent, Angélique le Boursier du Coudray s’impose sans peine comme une sage-femme incontournable.

SA FORMATION

Angélique Marguerite Le Boursier veuve du Coudray est née à Clermont-Ferrand en 1712 dans une famille de médecins.
Elle se rend à Paris pour faire son apprentissage d’accoucheuse auprès d’Anne Bairsin, maîtresse sage-femme jurée, durant trois ans au Châtelet et reçoit son diplôme de maîtresse sage-femme de la confrérie de St Côme, celle des chirurgiens le 28 septembre 1739. Elle est nommée sage-femme jurée le 21 février 1740.
Elle reste à Paris et, durant seize ans, elle exerce au Châtelet la profession de maîtresse sage-femme et transmet ses connaissances avec passion à ses apprenties. Elle exerce auprès d’une clientèle aristocratique et bourgeoise, et se constitue un réseau de relations qui lui seront précieuses.

Parmi ses soutiens on peut nommer André Levret, membre de l’Académie royale de chirurgie, accoucheur de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe mère de Louis XVI, et professeur réputé dans toute l’Europe ; Henri-Léonard Bertin contrôleur général des finances, Turgot intendant du Limousin et futur ministre des finances de Louis XVI, Jacques Necker futur directeur général des finances puis ministre d’État de Louis XVI et surtout le célèbre chirurgien Jean Baseilhac alias frère Côme depuis son entrée dans les ordres en 1729.

EN CE XVIIIe SIÈCLE LA SITUATION CONCERNANT LES ACCOUCHEMENTS EST CATASTROPHIQUE

Peu de sage-femme qualifiées dans les campagnes

Dans les campagnes où les chirurgiens sont rares, les sages-femmes qualifiées sont également peu nombreuses. Les accouchements sont l’affaire de matrones sans véritable formation, mais pétries de croyances et de superstitions qui pourraient paraître drôles si les conséquences n’étaient pas si graves. L’une des matrones explique qu’elle ouvre les portes et les fenêtres pour que le bébé comprenne qu’il faut sortir! une autre prescrit de mettre du poivre dans les narines des parturientes pour favoriser l’accouchement grâce aux éternuements ! dénouer tous les nœuds de la maison, ouvrir tous les verrous, détacher les vaches dans l’étable… Elles n’ont souvent aucune connaissance de l’anatomie féminine… Généralement elles apprennent en regardant une autre matrone lors des accouchements et toutes sont complètement démunies quand surviennent des problèmes, une hémorragie, une mauvaise position du fœtus etc. Hélas, la mère ou l’enfant, et parfois les deux en sont victimes..

Madame du Coudray est persuadée que l’ignorance des matrones les amène à commettre des abominations, des scènes de barbarie, dont elle est parfois témoin, quand on l’appelle pour délivrer une femme dont le travail dure depuis déjà quelque temps.. Elle donne en exemple sa venue à Besançon auprès d’une parturiente que la matrone avait assise sur une chaise et dont les cuisses étaient placées sur un billot de bois. La matrone avait décidé de couper tout ce qui dépassait.. et quand Madame du Coudray entra dans la pièce « on marcha sur la tête et sur des morceaux de membres de cet enfant »…Elle fut horrifiée..
Il mourait alors 10 à 12 femmes pour 1000 naissances…

Les chirurgiens accouchaient peu dans les villes

Dans les villes les chirurgiens peu experts en obstétrique s’obstinent à protéger leurs prérogatives (comme le droit d’enseigner ou d’utiliser des instruments tels les forceps). Depuis le début du XVIIe siècle les sages-femmes recevaient une formation théorique et pratique de qualité. Mais elles se heurtaient aux critiques des médecins qui, jusque-là, ne se risquaient pas à ces « viles » pratiques, le sang de la femme n’était-il pas impur ? Les chirurgiens accouchaient peu, se contentant de superviser l’enseignement et d’en décerner les diplômes. A leur décharge, pour accéder dans les hôpitaux aux « salles des accouchées », royaume des sages-femmes, les dérogations nécessaires étaient rarement accordées au nom de la bienséance et des tabous sexuels de l’époque. Si les médecins de ces temps-là accouchaient peu, par contre ils écrivaient et dissertaient beaucoup sur l’obstétrique, ne faisant que cultiver l’apparence d’un savoir à défaut d’un savoir-faire !

Les femmes difficilement acceptées dans cet exercice

Les chirurgiens qui pratiquent des accouchements acceptent difficilement que des femmes exercent cette activité.
Ils font irruption dans ce monde de femmes expliquant que l’ignorance et l’hygiène déplorable des sages-femmes est « la cause la plus féconde de la destruction de notre espèce« . A Paris, en 1747, à l’Académie de chirurgie, devant une assemblée entièrement masculine, deux chirurgiens-accoucheurs réalisent une démonstration de leur nouvelle technique d’accouchement réalisée grâce à un nouveau forceps. Les chirurgiens sont reconnus comme les spécialistes en matière d’accouchement et ont la main mise sur le corps des femmes. Les accoucheuses doivent coopérer avec le corps médical ou disparaître.

Madame du Coudray gêne

Madame du Coudray, cette femme d’une quarantaine d’années, sans enfant, sans mari « Dieu me préserve, je n’ai aucune envie de lier mon sort à un homme« , qui exerce avec panache et courage, gêne les chirurgiens.

Quand elle sent le vent tourné en faveur des chirurgiens, elle accepte la proposition d’un seigneur auvergnat, le Baron de Thiers : philanthrope, il est « monté » à Paris en quête de quelqu’un pour instruire quelques femmes de ses domaines, et réduire les décès de mère et d’enfant lors des accouchements. Le chirurgien Jean Baseilhac lui conseille Madame du Coudray.
A cette époque un accouchement qui se prolongeait était souvent fatal pour la mère et l’enfant et les décès liés à de mauvaises pratiques, fréquents. L’accouchement était la première cause de mortalité féminine, de malformations infantiles et séquelles en tous genres tant pour la mère que pour le bébé. Un proverbe normand vérifiable dans tout le royaume en est la preuve « femme grosse a un pied dans la fosse« .

Madame du Coudray rentre dans son Auvergne natale et instruit les matrones de la région

En 1754, Madame du Coudray rentre donc dans son Auvergne natale où elle continue d’exercer et, parallèlement, instruit gratuitement les matrones de la région.
Le Baron d’Auvergne lui dit « Thiers n’est pas Paris, nous ne disposons que de matrones, dont la seule connaissance est celle d’avoir enfanté elles-mêmes. Par leur faute nos enfants meurent et nos femmes sont mutilées plus qu’ailleurs. » Madame du Coudray y voit l’occasion de redonner un nouvel élan à sa carrière.
Mais on a beau être au siècle des Lumières, il faut du temps pour que les mentalités changent. Elle va rencontrer deux difficultés : la résistance du chirurgien masculin local comme elle pouvait s’y attendre mais aussi celle des femmes qui se méfient de cette parisienne. Qui est-elle pour leur donner des leçons alors qu’elle n’a pas d’enfant elle-même ? Elle est donc peu sollicitée par les « femmes grosses » comme on disait alors et boycottée par les matrones…
C’est pourtant là qu’en 1767 elle aurait sauvé à la naissance un certain Gilbert du Motier, futur marquis de La Fayette…

Femme de caractère et sûre d’elle, elle est vite persuadée que seule la formation des futures sages-femmes pourra enrayer les méfaits des matrones et elle donne l’exemple en formant les élèves qu’on lui envoie.

SA RENOMMÉE REMONTE JUSQU’À VERSAILLES : UN BREVET ROYAL

Louis XV lui permet d’enseigner dans tout le royaume

En 1757, Louis XV lui accorde un brevet l’habilitant à « enseigner l’art des accouchements dans toute l’étendue du royaume et lui accorde une pension annuelle de 8 000 livres avec mission de former matrones et chirurgiens dans tout le royaume, sans que sous aucun prétexte elle puisse être troublée« 

De 1759 à 1774 Louis XV et son administration, en particulier Bertin son contrôleur des finances lui apporteront leur soutien. Il faut faire baisser la mortalité infantile pour augmenter la population du royaume et donc sa puissance. Ce brevet sera renouvelé à plusieurs reprises.
Une lettre-circulaire est envoyée à tous les intendants du royaume pour qu’ils l’invitent dans leur généralité et lui apportent tout le soutien désirable. La lettre envoyée aux intendants est transmise aux seigneurs et curés des paroisses de tout le royaume les incitant fortement à permettre à des matrones de suivre les cours.

SA MÉTHODE

Donner des connaissances aux matrones locales avec un Abrégé de l’art des accouchements

Madame du Coudray est intimement convaincue qu’en donnant aux matrones locales des connaissances techniques solides, la mortalité infantile diminuera.. Et elle se dit : puisque les futures mères préfèrent les accoucheuses locales, de la famille ou voisines, pourquoi ne pas les former ?

Dès 1754, l’année de son arrivée en Auvergne, elle rédige un premier « Abrégé de l’art des accouchements, dans lequel on donne les préceptes nécessaires pour le mettre heureusement en pratique ». Elle veut « renfermer en peu de mots les vrais principes de cet art et les présenter sous un point de vue qui puisse les faire comprendre par des femmes peu intelligentes. Combien y en a-t-il de cette espèce qui…se mêlent d’accoucher et combien de malheureuses ne deviennent-elles pas victimes de cette ignorance ? … n’écrivant point pour les personnes éclairées je ne saurais me rendre trop intelligible. » Mais la plupart de ces femmes ne savent ni lire ni écrire..
Une nouvelle édition de cet Abrégé dix ans plus tard est ornée de « planches qui puissent rappeler à mes élèves mes mêmes démonstrations ; et pour pouvoir leur rendre encore plus sensibles je les ai fait imprimer en couleurs, pour que les différentes couleurs donnassent plus de clarté dans les objets« . Ces planches sont au nombre de 26. Elle décrit leur utilité : « afin que les élèves qui ne savent pas lire voyent dans ces planches les manœuvres qu’elles ont apprises« . La sixième et dernière édition paraît en 1785.

Un ouvrage en 38 chapitres

Le premier chapitre concerne les qualités requises d’une sage-femme.
On y parle beaucoup de religion, du rôle des sages-femmes lors du baptême, de la bienveillance à avoir vis-à-vis des futures mères, même pauvres, et ne pas refuser « tout secours à une fille qui a cessé de l’être et qui donne toutes les marques de la maternité« 
Elle aborde ensuite l’anatomie de la femme qu’elle présente comme la première connaissance essentielle requise. Celle-ci compose les 5 chapitres suivants : de la matrice, du bassin, du vagin, en terminant par les organes de fécondation et le processus de fécondation et de formation du fœtus.
Dans les cinq chapitres suivants elle présente divers procédés gynécologiques pour connaître l’intérieur anatomique, et explique les divers cas possibles jusqu’à la fausse-couche et l’avortement.
Elle explique ensuite toutes les phases de l’accouchement, puis les soins au bébé, à la mère.
Elle prévient des mauvaises manipulations et donne les bonnes attitudes à adopter. Par exemple pour l’extraction de l’enfant la manœuvre qu’elle conseille est de « retenir la tête en glissant les doigts sous la mâchoire sans prendre la tête par les oreilles, crainte de les arracher, ce qui est arrivé plus d’une fois« 
Puis du vingtième au trente-huitième chapitre, elle présente les cas particuliers de présentation de l’enfant, les malformations et jusqu’aux jumeaux.
Elle parle de sa propre expérience sans appréhension. Elle donne aux élèves sages-femmes les moyens de se maitriser, d’acquérir une certaine patience, de rester calme et sereine dans des situations où deux vies sont en potentiel danger.

Des méthodes adaptées face à l’illettrisme des matrones

L’enseignement théorique est oral puisque, souvent, les matrones ne savent ni lire ni écrire . Les cours doivent être compris (planches d’anatomie) et retenus. Les points essentiels sont appris par cœur. Leur acquisition est contrôlée tout au long de la formation. Elle se fait aider de « traducteurs » car les « patois » dominent alors dans les campagnes.

La conception d’une machine-mannequin qui reproduit la partie inférieure du corps de la femme

L’abrégé qu’elle a écrit n’est pas suffisant pour les matrones illettrées .. aussi Madame du Coudray, dans le but d’assurer le côté pratique de sa méthode a l’idée de rendre son enseignement palpable au travers de la conception « d’une machine » très pédagogique dès 1759. « Le seul obstacle que je trouvais… était la difficulté de me faire entendre par des esprits peu accoutumés à ne rien saisir que par les sens…. C’était à leurs yeux, à leurs mains qu’il fallait parler, en y ajoutant de la patience et de la douceur » dit-elle. Alors elle construit une machine, un mannequin de démonstration permettant l’apprentissage pratique et palpable du geste obstétrical. C’est un mannequin flexible, hyperréaliste… Il reproduit, en grandeur réelle , la partie inférieure du corps d’une femme, des lombaires à mi-cuisses, avec muscles intérieurs et extérieurs, la vessie, les trompes, les ovaires. Cette machine était en soie et coton, carton et bois… autour des os d’un bassin réel de femme ! (info révélée par la radiographie).
Toute l’anatomie de la femme enceinte est représentée et le périnée, le muscle qui forme le plancher pelvien, peut être serré et desserré au moyen de lanières… de cette manière l’apprentie sage-femme peut s’entraîner à aller chercher le bébé de chiffon.

Elle en parle ainsi : « Je pris le parti de leur rendre mes leçons palpables en les faisant manœuvrer devant moi une machine que je construisis à cet effet et qui représentait le bassin d’une femme, la matrice, son orifice,les ligamens, le conduit appelé vagin, la vessie et l’intestin rectum.
J’y joignis un modèle d’enfant de grandeur naturelle, dont je rendis les jointures assez flexibles, pour pouvoir les mettre dans des positions différentes, un arrière-faix, avec les membranes et la démonstration des eaux qu’elles renferment, le cordon umbilical composé de deux artères et de la veine, laissant une moitié flétrie et l’autre gonflée, pour imiter de la sorte le cordon d’un enfant mort et celui d’un enfant vivant, auquel on sent les battements des vaisseaux qui le composent. J’ajoutai le modèle de la tête d’un enfant séparé du tronc, dont les os du crâne passaient les uns sur les autres
« . Cet ensemble permet de nombreuses manipulations en fonction de la position du bébé. Elle continue de le perfectionner à chaque étape de son périple avec l’aide de ses domestiques ; il a évolué tant en matériau qu’en résistance.
Les élèves sont invitées à s’entraîner avec ce mannequin au cours de leur formation.

A cette machine elle adjoint quelques fœtus et bébés également grandeur nature (dont un fœtus de sept mois et des jumeaux) ainsi que des pièces annexes reproduisant fidèlement l’anatomie féminine. Il s’ouvre dans sa partie supérieure pour positionner le bébé dans le ventre maternel. Il porte des orifices où coulisse tout un jeu de ficelles et de lanières permettant de simuler l’ampliation vaginale et la dilatation du périnée lors du passage de l’enfant et contribuant à montrer la dynamique de l’accouchement.
Il montre pour mieux les expliquer et les reproduire les différentes phases de l’accouchement, les diverses positions du bébé et les manœuvres nécessaires en cas de difficultés, même les jumeaux ne sont pas oubliés !
Quant à l’appareil génital de la femme, représenté hors grossesse, il s’avère d’une remarquable fidélité anatomique avec ses vingt-et-une petites étiquettes cousues permettant aux élèves d’identifier chaque élément.

Ainsi elle ne rompt pas avec les pratiques des matrones traditionnelles puisqu’elle fonde son apprentissage sur le vécu et l’usage de la main, mais elle ajoute quelques connaissances anatomiques élémentaires, et elle tempère la précipitation des accoucheuses. Elle présente aussi les cas difficiles pour éviter les fautes tragiques.

Un enseignement de l’aspect psychologique

Madame du Coudray ne présente pas que l’aspect technique, elle ne néglige pas l’aspect psychologique de l’évènement et fait preuve d’une grande compassion vis à vis des femmes. A propos de la façon de traiter la future mère elle dit : « En attendant le moment de délivrer la femme on doit la consoler le plus affectueusement possible, son état douloureux y engage, mais il faut le faire avec un air de gaité qui ne lui inspire aucune crainte de danger. Il faut éviter tous les chuchotements à l’oreille, qui ne pourraient que l’inquiéter et lui faire craindre des suites fâcheuses. On doit lui parler de Dieu et l’engager à le remercier de l’avoir mise hors de péril. Si elle recourt à des reliques, il faut lui présenter qu’elles seront aussi efficaces sur le lit voisin que si on les posait sur elle-même ce qui pourrait gêner« .

Des méthodes pionnières reconnues par l’intendant d’Auvergne

Son but est de former des sages-femmes grâce à un enseignement théorique clair et des méthodes pratiques de simulation médicale que nous pouvons qualifier de pionnières.

Cette machine doit recevoir l’agrément de l’Académie de chirurgie, ce qui est fait en 1758. Et l’intendant d’Auvergne, qui trouve Madame du Coudray « très habile et de bonne volonté » décide que les principales villes de sa province doivent disposer d’un mannequin.

De cette machine déposée en 1778, il reste un unique exemplaire conservé et exposé au musée Flaubert et d’Histoire de la médecine à Rouen (un fac-similé existe au Musée de l’Homme depuis 2004).

UNE SAGE-FEMME ITINÉRANTE

Un tour de France pendant 25 ans pour instruire plus de 5000 femmes et des chirurgiens

C’est un véritable « tour de France » qui est organisé par les intendants et les administrateurs des provinces. Il doit durer entre six et sept ans, concerner toutes les provinces à raison de quatre par an, avec des cours d’une durée de six semaines, pour un total d’au maximum 80 élèves par cours.

Les premiers cours ont lieu dès 1759 dans les provinces du centre du royaume, qui sont les plus défavorisées : Auvergne, Bourbonnais, Limousin, Berry et Orléanais. Cela dure dix ans, avant qu’elle entame la seconde partie de son périple, en parcourant l’Aquitaine, le Dauphiné, la Lorraine, la Flandre, la Normandie , la Touraine, l’Anjou, le Maine et la Bretagne.

Madame du Coudray est prise en charge, transportée, logée, nourrie, chauffée. Les mannequins usent et doivent être réparés ou reconstruits à l’identique aux frais des collectivités.

Pendant vingt-cinq ans de l’âge de 45 ans et jusqu’en 1783, malgré les ennuis de goutte et d’obésité, cette sage-femme « itinérante » sillonne la France aidée de son neveu et de sa nièce, prodiguant ses cours dans presque toutes les provinces du royaume, de Lille à Montauban, de Bordeaux à Grenoble, de Rennes à Nancy, et instruit plus de 5 000 femmes. A la demande des intendants elle forme aussi des chirurgiens. Ils devaient ensuite former les matrones de leur région. Elle fait ouvrir dans plusieurs villes des « maisons de maternité ».
Consciente de son épuisement elle donne son dernier cours à Bourg en Bresse en 1780. Sa nièce Madame Coutanceau lui succéda et fut brevetée par Louis XVI pour enseigner dans les différentes parties de la France.

Sa méthode « simple, claire, et exacte« , sa « patience, son zèle » lui valent « estime et considération » et aussi beaucoup de tracasseries de la part du monde médical formé essentiellement d’hommes !

DIFFICULTÉS

L’indifférence des médecins et chirurgiens

Madame du Coudray avait un caractère bien trempé, ce qui lui a permis de mener à bien sa mission et ce, malgré l’indifférence voire l’hostilité de nombreux médecins et chirurgiens. Ces derniers voient d’un très mauvais œil l’instruction de ces femmes qui risquent d’empiéter sur leur domaine ! Ils ne cessent de rabaisser les sages-femmes ou de sous-estimer leurs compétences… Ainsi Diderot estime que les techniques utilisées par Madame du Coudray ne sont pas dignes de figurer dans sa fameuse Encyclopédie, contrairement à celles des chirurgiens ! « qui, aujourd’hui, fait encore appel à une sage-femme quand on peut appeler un accoucheur ? C’est la modernité, le progrès » lui fait-il perfidement remarquer…

Le soutien des hommes d’Église

Les hommes d’Église sont souvent des soutiens, leur préoccupation étant la destinée spirituelle des nouveaux-nés. Ainsi le cardinal Fleury énonce « le regret d’avoir, faute de sages-femmes formées, privé des enfants de la vie éternelle« . Ce sont les curés qui connaissent le mieux les paroissiennes et ont la charge de choisir l’élève de la paroisse à envoyer en cours et qui sollicitent les candidates possibles. L’accoucheuse est une personne influente dont la conduite doit être exemplaire. Les lettres-circulaires envoyées aux curés pour annoncer les cours mentionnent toujours la nécessité d’avoir une élève de religion catholique, de bonne vie et de bonnes mœurs.

Ses détracteurs la jalousent mais la copient

Elle est constamment soumise aux critiques dans une société où le destin d’une femme est de porter un enfant et sa nature d’enfanter, où l’utérus prend le pas sur l’intelligence féminine laissant peu de place au cerveau, une femme savante est nécessairement stérile ! Pour ses détracteurs soit elle a fait le choix de rester sans enfant pour pouvoir pratiquer la science à sa convenance soit son amour pour la médecine et l’obstétrique l’a rendue stérile !!! Ses pires ennemis, dont le chirurgien Alphonse Leroy à la tête d’un clan de détracteurs, jalousent son succès mais reconnaissent l’efficacité de ses leçons en la copiant et en s’en inspirant !

Pourtant grâce à ses cours Madame du Coudray a permis de redresser la situation catastrophique concernant les accouchements au XVIIIe siècle.

1778 – ANGERS UN RECORD !

Des cours au Mans, Angers et Tours

C’est en 1777 que Du Cluzel, l’intendant de la Généralité de Tours à laquelle appartiennent les provinces de l’Anjou du Maine et de la Touraine, contacte Madame du Coudray missionnée par le roi pour le royaume entier. Des administrateurs comme La Marsaulaie, subdélégué d’Angers, des médecins et chirurgiens comme Chevreul, des notables, se passionnent pour l’initiative de l’intendant.
En même temps tous les subdélégués angevins envoient à tous les seigneurs et curés des paroisses une lettre-circulaire pour les engager « à envoyer à Angers des sujets capables de profiter de telles leçons » et ils y dénoncent l’inexpérience des femmes chargées des accouchements dans les campagnes.
Il en précise les conditions : l’intendant prend en charge financièrement le logement et leur accorde une indemnité de 12 livres par mois pour assurer leur subsistance. Mais les frais d’entretien sont souvent laissés à la charge de la communauté des habitants, au seigneur ou à une personne bienfaitrice. Il les encourage à répondre en disant : « Votre amour pour le bien de l’humanité et pour l’accroissement de la population ne peut qu’exciter votre zèle dans une circonstance où le gouvernement ne ménage de son côté aucun des sacrifices propres à l’assurer« 

Madame du Coudray va débuter ses cours au Mans en 1777, puis à Angers en 1778 et le 15 nov 1778 elle commence les cours à Tours avec un mois de retard en raison des vendanges qui occupaient les nombreuses femmes de vignerons candidates à ces cours !

Un record de candidates en Anjou

En Anjou 140 filles et femmes se présentent pour la formation. Un record depuis le début des cours en 1759.
Arrivée à Angers le 7 juin 1778 Madame du Coudray commence par éliminer parmi les 140 élèves qui l’attendent une vingtaine d’entre elles, comme « trop âgées et hors d’état de profiter des leçons« .
La première leçon est donnée le 19 juin 1778 devant 113 « élèves femmes et filles », ce qui constitue un record par rapport aux assistances enregistrées depuis vingt ans.
Pour les cours de pratique chaque élève reçoit un numéro de passage. Dans un premier temps le démonstrateur (qui n’est autre que le mari de sa nièce, le docteur Cottenceau) à l’aide du mannequin et d’une poupée représentant le fœtus démontre et explique comment mettre au monde l’enfant dans une situation donnée. L’une après l’autre chaque élève doit reproduire les mêmes gestes en énonçant ce qu’elle fait de manière intelligible, et recommence jusqu’à ce qu’elle réalise correctement l’accouchement, preuve qu’elle a bien assimilé la leçon.
Cette méthode est utilisée pour chaque situation problématique : siège, hémorragie, présentation ou sortie par les pieds….. et selon le degré de compréhension et d’habileté de l’élève chaque leçon dure de 10 à 15 minutes pour chacune des situations possibles. Cette méthode est certainement très efficace. Les points fondamentaux de la leçon sont appris par cœur et leur acquisition est contrôlée par une série d’interrogations ultérieures. On peut comprendre que les cours en Anjou aient duré 2 mois au lieu de 6 semaines car elles étaient 113 !

Un certificat pour attester des capacités à accoucher

Le cours se déroule sans incident et se termine le 14 août à la satisfaction générale puisque 109 sages-femmes retournent dans leur paroisse avec le certificat qui leur est décerné. Ce certificat comporte une première partie signée de Madame du Coudray attestant des capacités de l’élève à pratiquer un accouchement. La deuxième partie signée de l’intendant accorde une exemption de taille et de corvée, qui constituaient en journées de travail obligatoires pour l’entretien des routes – on dirait aujourd’hui une réduction d’impôt – pendant toute leur vie professionnelle pour elles et leur mari. Ces avantages ont pour but de développer le recours à leurs services. Ils ne sont pas généralisés par tous les intendants.
Elles doivent posséder un Abrégé de l’art des accouchements, à payer le plus souvent de leurs propres deniers… et la paroisse doit acheter parfois la fameuse machine…
On rappellera qu’elles doivent en plus faire preuve de bonne moralité et connaître les formules de l’ondoiement pour les nouveaux-nés morts avant le baptême… et elles accompagnent le nouveau-né jusqu’aux portes de l’église le jour de son baptême. Dans son Abrégé, elle consacre tout un chapitre sur la nécessité de l’ondoiement et du baptême.
La sage-femme a un rôle médical, social, et religieux.

Par la suite, elle précisera des critères pour choisir les élèves, des sujets susceptibles d’instruction et faisant preuve d’adresse, de robustesse, d’habileté manuelle, de discrétion, qualités de corps et intellectuelles. Elle y met un critère d’âge plafond de 20 minima à 40 ans maximum aimant mieux « instruire de jeunes sages-femmes plutôt que des matrones attachées à leurs petits secrets » les filles plutôt que leurs mères.

Des chirurgiens en formation

Dans les villes où sont implantés ses cours, les chirurgiens viennent écouter la maitresse sage-femme en bien plus grand nombre qu’il y a de démonstrateurs à pourvoir, et font l’acquisition d’une machine de démonstration à titre privée. Mais l’engouement de ces hommes n’est-il pas hypocrite et opportuniste, car ces chirurgiens-accoucheurs profitent de cette formation pour faire admettre leur propre exercice… Dans une période où les professions sont codifiées les sages-femmes se sont vu interdire de former leur propre corporation et sont restées rattachées à celle des chirurgiens ou des médecins.

Dès la fin des cours, le surlendemain 16 août, toujours à Angers, Madame du Coudray enchaîne les cours avec cette fois-ci 9 maîtres-chirurgiens de la province. Ces derniers ayant déjà certaines connaissances la formation dure seulement 2 semaines.
Parmi eux il y a un jeune chirurgien de 24 ans Michel Chevreul qui va débuter une longue et prestigieuse carrière de gynécologue obstétricien, à la fois enseignant et praticien. Dans l’esprit de l’intendant il s’agit de prolonger les bienfaits de l’enseignement de Madame du Coudray pour qu’après son départ ces 9 chirurgiens puissent former les matrones de la province qui en font la demande. Les démonstrateurs ont pour mission de poursuivre le travail de sa formation.
Elle quitte Angers le 31 août. Elle laisse deux machines (une payante l’autre en don), et deux volumes imprimés contenant ses principes.

Un cours d’accouchement en faveur des sages-femmes de la campagne des Mauges

Les chirurgiens les mieux instruits sont envoyés « pour faire démonstrateurs dans les endroits les plus convenables« … . On note le sieur Guichet à Saint-Florent, le sieur Fol à Cholet (4 élèves du 1er mai au 30 juin 1780), le sieur Ropart à Chemillé… En 1786 c’est M.Guérif de la Flondrière, maître en chirurgie et démonstrateur en l’art des accouchements, qui prévient MM. les Curés et les Seigneurs des paroisses que, d’après l’ordre de M.l’Intendant, il commencera à Saint-Florent le 1er mai 1786, et jusqu’au 30 juin, un cours d’accouchement en faveur des sages-femmes de la campagne.
Pour s’assurer du bon fonctionnement des cours l’intendant nomme inspecteur Michel Chevreul, ce jeune chirurgien angevin qui dispensa lui-même des cours d’accouchement, chargé de veiller au respect de la méthode mise en place par Madame du Coudray. Il écrit son Précis de l’art des accouchements en faveur des sages-femmes et des élèves de cet Art en 1782….et il s’inspire étrangement de celui de Madame du Coudray… Il le dédit bien évidemment à l’intendant Ducluzel « La confiance dont vous m’avez honoré en me nommant à l’inspection des Cours d’Accouchements établis par vos soins en faveur des Sages-Femmes de votre Généralité, m’enhardit à vous offrir ce Précis de l’Art d’accoucher…un ouvrage qui a pour but de retracer aux Élèves en cet Art les préceptes qu’elles auront reçus pendant les deux mois fixés pour les Cours« 

Une formation de démonstratrice oubliée dans le bouleversement révolutionnaire

Les démonstrateurs sont très majoritairement des hommes : 5 femmes et 200 démonstrateurs dans les années 1780. Madame du Coudray a compris les inconvénients d’une telle évolution pour les femmes. En 1790 elle propose une formation de démonstratrices qui, munies de machines (alors appelée phantôme) placées dans les chefs-lieux des départements, pourront instruire les élèves, dans cet art « dont il serait à désirer que toutes les femmes tant pour elles que pour leurs enfants, connaissent une partie des secours qu’il offre. La sensibilité des femmes, leurs rapports entre elles, leurs mains plus petites et plus délicates devant les faire préférer  » et ainsi « un grand nombre trouverait dans la profession et l’exercice de sage-femme un état utile et honnête« 
Cette proposition judicieuse est oubliée dans le bouleversement révolutionnaire.

COMMENT EST ACCUEILLIE CETTE FORMATION ?

Une exigence des conditions de travail qui a un coût

Pendant six semaines les intéressées sont logées et nourries ; les cours sont gratuits et ont lieu dans la ville principale de la province.
Durant l’absence de la matrone les accouchements sont assurés par un remplaçant. Un exemplaire-étalon du mannequin doit être conservé dans chaque localité visitée à l’intention de l’un de ses élèves chirurgiens qui sera le démonstrateur.
Madame du Coudray est très exigeante sur ses conditions de travail et de logement… A Angers en 1778 Michel Chevreul qui a aménagé des salles d’enseignement de médecine ne dispose pas de lieu suffisamment grand pour la loger elle et sa centaine d’élèves… On va lui attribuer d’abord une salle de l’hôtel de ville.
L’intendant du Cluzel envoie à Necker « l’état des dépenses faites à Angers pour le logement de Madame du Coudray, maîtresse sage-femme pensionnée du roi, la fourniture de l’ameublement, linge, ustensiles, bois et lumière, logement des élèves, fournitures des livres, machines et instruments tant aux élèves de la province d’Anjou qu’aux chirurgiens envoyés aux cours que la dite dame du Coudray a tenu dans la dite ville d’Angers où elle a séjourné depuis le premier juin 1778 jusqu’au 31 août suivant ». Il relève que le logement des élèves a été payé à raison de 2 livres 5 sols par mois et revient pour 109 élèves à 489 livres et 7 soles 6 sur un total de 5485 livres 31 soles 6. Quatre villes de l’Anjou ont payé les machines fournies à leurs chirurgiens et le reste a été pris « sur les fonds libres de la capitation« .

Les élèves des Mauges

Pour le territoire des Mauges, dans la liste des élèves et de leur paroisse d’origine telle qu’elle fut dressée par monsieur de la Marsaulaye subdélégué on peut relever :
« Marie Agnès Porché, femme de Jean Fougeau, à Saint-Philbert-du-peuple ;
Marie Guet, femme de Pierre Dupont, à Gesté ;
Jeanne Léger, veuve de Louis Peyneau, à Chantelou, près Vezins ;
Marguerite Delaunay, veuve Vincent Michau, à Montejean ;
Renée Frémondière, femme de René Thibault, à la Pommeraye ;
Jacqueline Jarry, veuve de René Boudic, à Saint-Quentin-en-Mauges ;
Jeanne Milpied, femme de René Boisdron, tisserant, au May ;
Renée Pailla, veuve de Jacques Pilard, au May ;
Jeanne Supiot, veuve Bernabé Bidet,à Jallais ;
Marie Anne Morillon, femme de François Morin,à Izernai ;
Anne Chartier, veuve de Laurent Seicher, à Saint-Crespin-en-Mauges ;
Jeanne Merlet, femme de Louis Rochard,tisserant à Saint-Makhaire ;
Anne Botineau, veuve de Jean Allaire, à Saint-Sauveur-de-Landemont ;
Rose Guêma, femme de Jean Sejou, au Bourg d’Iré ;
Françoise Aubrou, veuve de Ragueneau, au Fief-Sauvin ;
Perrinne Cousin, veuve de René Jupin, d’Andrezé ;
Louise Rabi, femme de François Gourdon, à Meslay ;
Jeanne Terrien, fille, à Sainte-Christine ;
Marie Merand, veuve de Louis Babin, à la Chapelle-du-Genêt ;
Anne Bouchereau, femme de René Chenais, à Montrevault et Saint-pierre-Montlimart ;
Françoise Bureau, femme de François Piou, à la Boissière de Saint-Florent-le-Vieux ;
Marie Bourget, veuve Pierre Frouin, à Saint-Martin-de-Beaupréau ;
Renée Guyon, femme de Julien Ragueneau, à Chanzeaux ;
Marie Bernard, veuve de René Sechet, à la Séguinière ;
Perrine Bernard, veuve de Pierre Guinefoleau, à la Séguinière ;
Marie Humeau, femme de Jean Cesbron, de Saint-Laurent-de-la-Plaine ;
Marie Rabineau, femme de Jean Cesbron, de Saint-Laurent-de-la-Plaine ;
Louise Chalopin, veuve Michel Esseuil, à la Salle-de-Vihiers ;
René Pasquier, fille, à Saint-Lambert-du-Lattay ; … »

Des femmes attestées de leur réussite à la formation mais qui peinent à être recrutées

En 1788 une Commission intermédiaire est mise en place pour évaluer les résultats de la formation. On y trouve qu’en 10 ans, de 1779 à 1788 quelque 230 sages-femmes de toutes les régions de la province ont été reçues grâce aux cours inaugurés par Madame du Coudray et poursuivis par le médecin Chevreul. On y lit que dans les paroisses du district de Chateau-Neuf « plusieurs élèves de Madame du Coudray, de retour chez elles, n’ont point été employées, les anciennes ont prévalu parce que les préjugés, l’habitude, la routine gouvernent impérieusement la multitude. » – Au Grand-Montrevault
« Deux sages-femmes dont l’une a fait ses cours ; l’autre qui n’a pas fait ses cours est presque la seule employée » – Autre exemple à Cuon : « Depuis dix ans, deux sages-femmes ont été instruites aux frais du seigneur, mais les femmes de la paroisse continuent à n’avoir recours qu’à l’ancienne ». Les femmes envoyées par les paroisses sont nourries et logées mais ce sont les paroisses et les districts qui doivent prendre en charge les frais… Cela n’est pas évident… Les seigneurs ne résident pas sur leurs terres et se récusent… Beaucoup de curés, notamment ceux à portion congrue, ne peuvent assumer une pareille charge…quant aux communautés d’habitants pourtant directement intéressées, elles refusent presque toutes, par avarice, de faire les sacrifices nécessaires. En 1782 Chevreul écrit à l’intendant Du Cluzel au sujet des communautés d’habitants qui refusent presque toutes d’assumer les frais de formation d’une sage-femme : « Vous connaissez mieux que moi leur caractère : si c’était pour former un vétérinaire, l’espoir d’avoir un homme qui pût prévenir ou empêcher la mortalité de leurs bestiaux les porterait à donner tout ce qu’on demanderait sans répugnance ; mais pour conserver leur femme, il en est tout autrement : une perdue, une autre retrouvée ». Il en conclut que les réticences ne sont pas que financières.
En 1788 encore les enquêteurs notent qu’à Chalonnes sous le Lude le syndic leur a dit que malgré l’absence de sage-femme « reçue » les accidents de couches sont rares et ils commentent non sans irritation : « La réponse des syndics paysans est partout la même à cette occasion. S’il périssait deux vaches dans leur paroisse ils crieraient à la mortalité des bestiaux. Souvent il périt plus que cela de femmes et d’enfants par l’impéritie des matrones et ils disent que les accidents sont rares ! »
Pourtant les sages-femmes formées trouvent des soutiens. Ainsi le curé de la Chapelle du Genêt déclare en présentant à ses paroissiens la nouvelle sage-femme, élève de Madame du Coudray : « Ceux qui par prévention, entêtement ou autre mauvais motif s’obstineraient à se servir de la matrone et s’exposeraient par là à quelque fâcheux accident soit pour les enfants soit pour les mères, en répondraient devant Dieu« .

Durant 24 ans, de son premier cours dispensé en Auvergne en 1759 à son dernier cours à Bourg en Bresse en 1783 on estime qu’elle a formé 5000 femmes environ dans une cinquantaine de villes du royaume et 500 chirurgiens.

LES DERNIÈRES ANNÉES

En 1789 Madame du Coudray, âgée de 77 ans, demeure chez sa nièce, Marguerite Guillomance qui a épousé le chirurgien bordelais Coutanceau. Celui-ci avait commencé comme démonstrateur de Madame du Coudray en 1770 et avait épousé Marguerite en 1773. Tous deux la secondent déjà depuis 1768.

L’avènement de la Révolution fait craindre aux deux femmes que l’instruction des sages-femmes ne soit plus une priorité. Madame Coutanceau présente un mémoire à l’Assemblée Nationale pour en rappeler l’importance. Mais Madame du Coudray, qui a perdu sa pension royale est défavorisée par cette proximité royale auprès du pouvoir en place qui se radicalise. Un vieil ennemi, obstétricien, qui voulait réserver les accouchements aux hommes, Alphonse Leroy, se manifeste et dénonce l’ignorance de toutes les sages-femmes et parle de la « demoiselle » (femme non mariée) qui enseigne les accouchements avec une poupée ! Les titres sont abolis, n’importe qui peut se dire « officier de santé« . Le médecin Vicq d’Azyr lance pourtant une enquête et les provinces sont largement favorables à Madame du Coudray, avec une progression démographique notable.

La terreur s’installe. Dans la peur générale les deux femmes, qui ne reçoivent plus aucun argent de Paris, obtiennent leur certificat de civisme pour reconnaissance des services rendus.
Le 13 juillet 1793 Madame Couttanceau devient la première directrice d’une maison de maternité qui vient d’être fondée à Bordeaux.

Madame du Coudray vient habiter chez sa nièce et son mari à Bordeaux, qui continuent son œuvre.
Elle y meurt le 17 avril 1794 à 82 ans dans le dénuement et la solitude , un jour où sa nièce et son mari sont absents.

EN CONCLUSION

On peut s’interroger sur le succès remporté de son vivant par Madame du Coudray et sur le peu de cas que l’on fait de cette sage-femme après sa mort.

Son succès s’explique par le contexte de l’époque : les conditions dans lesquelles naissent les enfants restent celles qu’elles étaient depuis des siècles : s’il survient le moindre incident au cours de l’accouchement la situation devient vite catastrophique. En principe il est nécessaire pour devenir sage-femme, non seulement d’avoir subi un examen de moralité devant le curé de la paroisse, mais aussi d’être reçue par la communauté de chirurgiens la plus proche après un apprentissage théorique et pratique de deux années. Mais le nombre de matrones qui ont suivi cet apprentissage est ridiculement faible dans les bourgs et les villages. D’un autre côté les préjugés, dont un médecin s’est fait l’écho dans un livre publié en 1708 intitulé : « De l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes », les maîtres-chirurgiens n’ont le plus souvent aucune expérience en ce domaine. Ainsi on aboutit à ce double paradoxe : « A la pratique sans théorie qui caractérise la formation des matrones, les chirurgiens-accoucheurs ne peuvent guère opposer que la théorie sans la pratique » écrit J. Gélis.
Au milieu du XVIIIe siècle il se fait une prise de conscience collective à laquelle participent non seulement des chirurgiens et quelques rares sages-femmes qualifiées, dont Anne Bairsin formatrice de MDC au Châtelet, mais aussi des administrateurs et les plus hautes autorités de l’État soucieux, dans une perspective populationniste, de mettre un terme à des pratiques qui enlèvent à la naissances « tant de sujets au roi ». Dans ce contexte l’initiative de Madame du Coudray apparaît comme une des plus importantes.

Le succès remporté de son vivant tient-il à l’utilisation de « sa machine » qu’elle se vante d’avoir inventée ? C’est oublier que des machines du même type avaient été construites par des médecins-accoucheurs dans la première moitié du XVIIIe siècle en Angleterre, ce qu’elle ne pouvait ignorer. Mais elle a perfectionné cet outil pédagogique en en faisant un élément indispensable à sa méthode alliant théorie et pratique.

Son caractère bien trempé l’a aussi aidé à s’imposer . Elle laisse une image de femme autoritaire , sûre d’elle et consciente de sa personne. Mais pouvait-elle faire autrement ? Turgot, futur ministre de Louis XVI, alors intendant en Limousin où il l’a accueillie en 1765, écrit à son collègue l’intendant de Bordeaux : « Vous trouverez sa personne assez ridicule par la haute estime qu’elle a d’elle-même« , mais il ajoute : « mais cela vous paraîtra probablement comme à moi fort indifférent : l’essentiel est qu’elle donne des leçons utiles, et je crois que les siennes le sont beaucoup ».
Elle valorise sa machine en en vendant des modèles partout où elle enseigne. Elle en fait parfois la condition pour donner ses cours, argumentant qu’il faut l’outil pour continuer à s’entraîner et à se former. Aimerait-elle l’argent ? Elle fait de gros profits… mais enseignera en prenant sur ses deniers durant les dernières années de sa vie .
Ce caractère bien tranché était indispensable … En tant que femme, même dans le métier qui était le sien, elle ne pouvait que se heurter, sauf de rares et utiles exceptions, à un mur au mieux d’indifférence, au pire d’hostilité, dans une société masculine de chirurgiens, de médecins, d’administrateurs.
Elle fut pour beaucoup dans la baisse de la mortalité infantile et l’amélioration de l’espérance de vie des nourrissons. On lui doit la première vraie prise de conscience du rôle de l’obstétrique dans la santé publique. Ce n’est pas un mince mérite que d’avoir contribué efficacement à ébranler la situation catastrophique dans laquelle se déroulaient les accouchements et naissances dans la France du milieu du XVIIIe siècle.

De Madame du Coudray il ne reste qu’une poupée qui lui a servi de modèle pour ses cours et un manuel d’accouchement. Pourquoi n’est-elle pas plus connue aujourd’hui ? Pourquoi existe-t-il une rue Chevreul à Angers.. et pas de rue Madame du Coudray ? Encore un exemple montrant que l’histoire de la Science s’est construite de manière sélective, plaçant les hommes en pleine lumière et les femmes dans l’ombre et l’oubli. Les dictionnaires, encyclopédies ou autres ouvrages d’Histoire de la médecine ne donnent qu’une image furtive d’elle et ne lui accordent qu’une place minime.
Et ce n’est que trois siècles plus tard que la loi du 25 janvier 2023 a érigé les maïeuticien(ne) en une profession de santé à part entière.

Régine Morillon et Marie-Juliette Tanguy – Andrezé – octobre 2024

BIBLIOGRAPHIE

Abrégé de l’art des accouchements – Madame le Boursier du Coudray – 6° édition – 1785

Précis de l’art des accouchements – Michel Chevreul – 1782

Les cours d’accouchement en Anjou à la fin du XVIII° siècle – Olivier Couffon – 1913

Les hommes et la mort en Anjou aux XVII° et XVIII° siècle – François Lebrun – 1971

La sage-femme ou le médecin : une nouvelle conception de la vie – Jacques Gélis – 1988

Médecins et hôpitaux en Anjou du Moyen-Age à nos jours – J.G. Petit et J.P. St André – 2009

Dossier des Archives d’Indre-et-Loire – octobre 2008

Mémoire soutenu par Jean Roy – 2019

Article de Joëlle Chevé – Historia du 7 décembre 2020

Article du docteur Philippe Gorny – Paris-Match du 18 août 2021

La sage-femme du Roi – BD – Adeline Laffite et Hervé Duphot – 2023

Sept jours à Clermont – article d’Anne-Sophie Simonnet – 1 juillet 2023

La sage-femme des Lumières – site Medarus.org

MERCI

aux Archives d’Angers pour leur accueil et leurs conseils

à Anne Roland-Boulestreau pour ses encouragements

à J. Morillon et J.J. Plard pour leur soutien

Un sujet dans la Rubrique Histoire des Cahiers des Mauges n°24 p86 à 88

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