La culture du chanvre, un savoir-faire ancien valorisé et célébré à Mauges-sur-Loire
Savoir-faire classé depuis 2020 au Patrimoine Culturel Immatériel de France, la culture du chanvre a une histoire forte en France, et notamment dans nos Mauges. Si elle a cessé aujourd’hui, la culture du chanvre reste dans les mémoires à Mauges-sur-Loire.
Rencontre avec Jean-Marie Trottier, vice-président de l’Aflam (l’Association fêtes et loisirs à Montjean-sur-Loire) organisatrice du festival de Fibres en Musique qui célèbre la culture du chanvre le temps d’un week-end en août.
Qu’est-ce que le chanvre ?
Jean-Marie Trottier : « Le chanvre est une plante annuelle qui fait partie des Cannabaceae. Dans cette famille, il y a deux plantes : le chanvre et le houblon. Ce sont des plantes qui sont vraiment particulières. Le houblon sert à faire de la bière et pousse à 9m de hauteur tandis que le chanvre atteint 3m à 3m50. Le chanvre pousse extrêmement vite, en quatre mois seulement. »
Quelles sont les conditions pour faire pousser du chanvre ?
J-M T. : « Alors déjà, il faut 120 jours de beau temps. Il n’y a pas besoin d’arroser le chanvre, mais il lui faut beaucoup de soleil. On dit que c’est une plante photopériodique ; elle se cale sur la durée des nuits. C’est-à-dire que la même variété de chanvre semée mi-avril ou fin mai va mûrir au même moment sur la même latitude. Alors il y en aura une qui aura plus de graines, plus de fibres, mais elles vont mûrir à la même période. Et pour savoir quand semer, les anciens nous disaient que si on pouvait marcher dans la terre pieds nus et qu’on ne trouvait pas la terre froide, on pouvait semer. »
Quelles sont les différentes étapes de sa culture ?
J-M T : « Alors on commence par semer le chanvre à la main à l’époque, puis avec un verseur et après avec un semoir. Ensuite, il est arraché à la main, puis après à la faucheuse. On fait les bottes. Ensuite, c’est l’étape du rouissage. On fabrique une barge pour mettre le chanvre à l’eau. Cela sert à le défibrer. Une semaine après, on sort le chanvre de l’eau. On attache la botte sur un piquet pour qu’elle se vide de toute son eau. Vingt-quatre heures après, le chanvre passe d’une couleur verte à complètement jaune. Une fois que le chanvre est égoutté, on étale les bottes dans des champs. C’est la rosée du matin qui fait blanchir le chanvre. Et au bout de quelques jours, on les remet en forme de tour pour qu’elle finisse de sécher avant de les engranger. »
À quoi sert le chanvre ?
J-M T. : « Cela dépend des périodes de l’histoire. Le chanvre est originaire d’Asie centrale et est apparu à l’état sauvage 8000 ans avant Jésus-Christ. Il est arrivé en Europe par la route des épices en 1150 et s’est bien adapté à nos terres. Il était utilisé pour faire les premiers papiers du continent. En 1455, Gutenberg imprime une bible en chanvre. En 1776, la Déclaration d’Indépendance des États-Unis est également écrite sur du chanvre.
Au départ, la culture du chanvre c’était vraiment pour avoir une fibre solide. C’est la fibre végétale la plus solide qui existe. À l’époque de Colbert, la culture du chanvre en France a été intensifiée pour équiper la marine royale. Avant ils achetaient la fibre aux Russes et aux Italiens. C’est à cette époque que sont nées les grandes corderies. Il en reste une à Rochefort-sur-Mer. Par exemple, l’Hermione, l’une des frégates les plus rapides, comporte 70 tonnes de chanvre. Les très gros galions de guerre, eux, peuvent comporter jusqu’à 110 tonnes de chanvre. Les agriculteurs ont doublé leur surface de culture à cette époque et se sont équipés pour augmenter la production car c’est une culture qui demande beaucoup d’énergie humaine.
Aujourd’hui, on peut tout faire avec du chanvre. On peut se déplacer avec les voiles, se nourrir avec les graines de chanvre qui sont très nourrissantes, se désaltérer avec une bière au chanvre, s’habiller grâce à la fibre, se soigner en faisant des onguents à base de chanvre car il favorise la cicatrisation, faire rouler sa voiture grâce à l’huile de chanvre utilisée dans les premiers moteurs diesel, s’éclairer avec des lampes à huile de chanvre, faire des maisons grâce à la paille de chanvre ou des isolants grâce à la fibre, et encore beaucoup d’autres choses…. Très récemment, la marque Lego a décidé d’arrêter tout le plastique à base de pétrole et va fabriquer toutes ses briques avec du plastique de chanvre. »
Et la présence du chanvre dans les Mauges ?
J-M T. : « Si le chanvre est arrivé dans les Mauges, c’est grâce à la Loire car elle permettait le rouissage du chanvre par rapport à des régions où il n’y avait pas de grands fleuves, seulement des ruisseaux. Le chanvre de Loire était très réputé à l’époque. À l’apogée des cultures de chanvre, il y avait tellement de chanvre qui était mis à l’eau en même temps dans la Loire que c’était la guerre entre les pêcheurs professionnels et les chanvriers. Au bout d’une semaine de rouissage, beaucoup de poissons mourraient… Le roi de l’époque est intervenu et des variétés de chanvres différentes ont été développées pour étaler le rouissage entre fin août et fin septembre. La grève d’Ingrandes-sur-Loire était couverte de chanvre de bout en bout. »
Aujourd’hui, que reste-t-il de cette culture ?
J-M T. : « À partir de 1830, la culture du chanvre a décliné en France pour plusieurs raisons, notamment à cause de l’arrivée des bateaux à vapeur, le transport par les voies ferrées, les fibres exotiques comme le sisal venu d’Amérique du Sud, puis l’arrivée du nylon qui a remplacé beaucoup de choses. En 1930, la culture du chanvre continue de diminuer en France. Dans les années 1960-1970, on compte un peu plus de 300 ha de chanvre déclarés, et notamment à Beaufort-en-Vallée. Dans les Mauges, la culture s’est complètement arrêtée dans les années 1960. Et puis, après 1970, il y a eu un regain d’activité. Je cultive encore 1000 m² pour les besoins du festival de Fibres en Musique. Il y en a encore en Loire-Atlantique et dans d’autres régions de France. C’est facile à faire pousser, à récupérer la graine mais après il reste la fibre et c’est là que c’est plus difficile. Comment faire pour défibrer ? On ne fait plus rouir le chanvre aujourd’hui en France parce que ça demande beaucoup de main d’œuvre et de technique. Il y en a qui cherche des systèmes différents. Actuellement, la plus grande chanvrière d’Europe est celle de Bar-sur-Aube et elle a une machine qui réussit à défibrer. Aujourd’hui, il y a environ 18 000 ha de chanvre en France ; certains font de l’huile et mette la paille en round baller à destination de papeteries, d’autres en cultivent pour l’isolation et pour la construction. »
Un mot sur la classification de ce savoir-faire au Patrimoine Culturel Immatériel de France ?
J-M T : « C’est le savoir-faire du chanvre qui est classé au Patrimoine Culturel Immatériel de France depuis novembre 2020. On a donc officiellement l’autorisation d’utiliser le logo qui est très réglementé. »
Pourquoi le chanvre fait-il partie du patrimoine des Mauges ?
J-M T. : « Parce que cette culture a fait vivre des générations. Ceux qui faisaient du chanvre sur suffisamment grand, trois ou quatre hectares, à l’époque où c’était encore bien monnayé, faisaient vivre toute leur famille. C’était la paye de l’année ! Et puis, c’était un sacré travail ! Les anciens chanvriers en parlent encore aujourd’hui avec passion, mais ils avouent que c’était beaucoup de travail. »
Comment est né le festival de Fibres en Musique ?
J-M T. : « A l’origine, on faisait des fêtes de villages traditionnelles. Et puis, il y a deux personnes Annette et Henri, qui cultivaient du chanvre et qui faisaient découvrir cette culture à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Ils ont commencé à en semer un petit peu et à faire des démonstrations publiques dans l’éco-musée qui existait à l’époque. L’un des membres de l’éco-musée a proposé de mettre cette culture à l’honneur dans un festival. Au départ, il s’est appelé le festival du chanvre et puis au bout d’une dizaine d’année, il s’est ouvert aux autres fibres comme le coton, le lin, la soie, l’ortie… Il y a toujours eu des groupes de musique et donc il est devenu le festival de Fibres en Musique. »
Aurélie David